Magali Orgeur – Les carreaux de pavement médiévaux de l’abbaye de Cluny (Saône-et-Loire)
En collaboration avec : Valérie THIRION-MERLE, Anne BAUD, Clarisse COUDERC, Florent DELENCRE, Anne FLAMMIN, Florian GALLETTI, Françoise NOTTER-TRUXA, Gilles ROLLIER et Anne SCHMITT
Résumé de la communication à la Journée d’actualité d’Orléans, novembre 2024.
À Cluny, les nombreuses fouilles de l’abbaye ont mis au jour une importante quantité de carreaux de pavement, conservés dans différentes réserves du musée d’Art et d’Archéologie et du Centre des monuments nationaux-Abbaye de Cluny. Ces carreaux, datés pour l’instant d’entre le XIIème ou XIIIème siècle et le XVIIème siècle, n’ont fait l’objet que de ponctuelles études sur les décors et les techniques de fabrication. Un regain d’intérêt a permis la mise en place d’un programme de recherche associant archéologie et archéométrie.
Le programme collectif de recherche intitulé « Les carreaux de terre cuite de l’abbaye de Cluny : étude typologique, technique et archéométrique, XIIème-XVIIème siècles » a vu le jour en 2023 pour une programmation sur 3 années. Il a pour objectifs de proposer une chrono-typologie des carreaux entre le XIIème et le XVIIèème siècle et de caractériser les matières premières argileuses utilisées par les tuiliers.
Ce programme de recherche a débuté par le recensement exhaustif des carreaux de pavement de la prestigieuse abbaye de Cluny. Ce sont 1251 carreaux qui constituent ce fonds. Toutes les techniques décoratives de carreaux à glaçure plombifère sont représentées, ce qui est exceptionnel (carreaux unis, incisés, imprimés, de mosaïque, de mosaïque à pièce de rapport, de mosaïque bicolore et carreaux bicolores). Chaque carreau a été inventorié individuellement dans une base de données. Le corpus comprend plus d’une centaine de motifs qu’il s’agisse d’un motif inscrit sur la surface ou de la forme de la surface dans le cas des mosaïques. A la diversité des techniques décoratives s’ajoute celle des motifs qui rejoignent les grandes thématiques connues autour des fleurs-de-lys, marguerites, lions affrontés, chevalier chargeant à l’épée ou encore la scène de chasse linéaire. Mais Cluny se démarque aussi dans le choix de programmes ambitieux sur les mosaïques à pièce de rapport unie, bicolore ou encore brute, les parallèles se faisant avec des abbayes tout aussi prestigieuses qu’elle (St-Benoît-sur-Loire, St-Denis) et les mosaïques bicolores de formes curvilignes connues dans des prieurés lui appartenant (Lourdon et Gevrey-Chambertin) laissant entrevoir l’homogénéité d’un discours esthétique affirmant son pouvoir spirituel et temporel. Les comparaisons se tournent aussi vers l’abbaye de Chertsey (Angleterre) et plus proche géographiquement avec les quelques carreaux subsistants de l’ancien château de Rouvres en plaine appartenant aux ducs de Bourgogne capétiens et valois. Il est à signaler aussi un motif connu à l’identique et sur des carreaux aux dimensions tout aussi identiques au château de Boves (Sommes). La fleur-de-lys florencée sur carreau losangique va être l’objet de comparaison de relevés d’empreintes de matrice afin de valider ou d’invalider le déplacement d’un tuilier itinérant entre Cluny et Boves. Les études à suivre vont s’orienter sur la définition des programmes décoratifs de ces carreaux à l’aide de restitution pour découvrir des liens thématiques avec d’autres sites et ainsi mettre en lumière les choix de Cluny pour mieux les analyser et les comprendre.
Des études archéométriques viennent approfondir nos connaissances de ces carreaux. En effet, tous les carreaux ont d’abord fait l’objet d’observations visuelles à l’aide de stéréomicroscope et microscope numérique sur cassure fraîche. Trois groupes macroscopiques ont été identifiés se différentiant principalement sur la matrice et l’abondance des grains. Ces premières observations ont été confortés par l’étude pétrographique qui a révélé toutefois un cortège minéralogique très banal. Puis, une série d’analyses chimiques a été réalisée sur des carreaux de type bicolore dont la datation est assurée, entre le XIIIème et le XVème siècle. Ces analyses ont montré l’existence de deux groupes chimiques nettement distincts, l’un correspondant aux pâtes marbrées, l’autre aux pates sableuse et intermédiaire.
Le croisement des analyses avec les données iconographiques révèle un changement de matière première au cours du temps. En effet, les motifs retrouvés sur les carreaux du groupe chimique des pâtes sableuses ou intermédiaire, sont des motifs qui pour l’instant sont datés du XIIIème siècle et correspondent à des sous-catégories très spécifiques du catalogue des carreaux bicolores, tandis que les motifs du groupe chimique des pâtes marbrées correspondent à d’autres sous-catégories des carreaux bicolores datées des XIVème et XVème siècles. Ainsi, ces résultats suggèrent que les pâtes marbrées sont plus récentes que les pâtes sableuses, les carreaux à pâte sableuse auraient été progressivement remplacés par des carreaux fabriqués à partir d’une pâte marbrée.
Les études vont se poursuivre par l’extension des analyses chimiques aux autres catégories techniques des motifs et par l’étude des argiles locales afin d’essayer de comprendre les évolutions techniques et les raisons d’un tel changement dans la fabrication des carreaux.